L’appel du monde
« Le visage s’impose à moi sans que je puisse rester sourd à son appel, ni l’oublier, je veux dire sans que je puisse cesser d’être responsable de sa misère », écrivait le philosophe Emmanuel Levinas dans son livre, Humanisme de l’autre homme.
Faisant face aux visages sculptés de Béatrice Bizot, aussi ouverts dans leur générosité apparente qu’opaques dans leur mystère rentré, on ne peut s’empêcher d’entendre cet appel formulé par Lévinas. Quelque chose nous convoque, nous sollicite, nous étreint, lorsqu’on fait face à ces visages aux regards éteints, aux yeux fermés qui nous transpercent. Si ce n’était la grâce de leurs traits, c’est la densité d’interrogations contenues en eux qui nous trouble sensiblement. L’effet troublant de ses visages tient dans l’art d’y faire vibrer des affects opposés, de la sérénité à l’inquiétude. Comme si un visage de Botticelli se confondait avec un visage de Munch, se superposaient l’un l’autre dans une hybridation singulière, hors du temps mais au cœur de l’histoire de l’art. Autant l’une que l’autre, l’une après l’autre, l’une dans l’autre, les deux attitudes se déploient dans la forme même des sculptures ici exposées, à travers une amplitude de gestes, du monumental au minuscule, du tragique au sentimental.
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Jean-Marie Durand, critique d’art, 2022